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Actualités et enjeux de l’écosystème pharmaceutique en Afrique

Agence Africaine du Médicament

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Michel Sidibé - Envoyé spécial de l'Union Africaine pour l'AMA

« Vers une nouvelle forme de solidarité mondiale »

Spécialiste de santé mondiale, ardent défenseur de la justice sociale, le Malien Michel Sidibé a été directeur exécutif du programme commun des Nations unies sur le VIH/sida (ONUSIDA). Avec le rang de secrétaire général adjoint des Nations unies pendant 10 ans, il a oeuvré sans relâche en faveur d'une « santé pour tous ». Il mobilise aujourd'hui l'Afrique et la communauté internationale autour de l'Agence africaine du médicament (AMA)

Par Juliette Badina

Durant toute sa carrière, Michel Sidibé a oeuvré pour la santé mondiale. Il a rejoint dès 1987 le Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef). Il a présidé le H6, un partenariat réunissant six organisations des Nations unies (FNUAP, Banque mondiale, OMS, ONU Femmes, ONUSIDA et Unicef) destiné à promouvoir la stratégie globale “Toutes les femmes, tous les enfants”. A l’ONUSIDA, sa vision de zéro nouvelle infection par le VIH, zéro discrimination et zéro décès lié au sida a fait progresser la riposte et a permis d’atteindre en 2015 l’objectif de placer 15 millions de patients sous traitement antirétroviral. Défenseur passionné de la santé et de l’humanité, il a été nommé envoyé spécial de l’Union africaine pour l’Agence africaine du médicament (AMA) en 2021. Il mise sur une régulation du secteur pour produire localement des produits de santé aux normes internationales, réduire la dépendance du continent envers l’extérieur et le faire peser dans la diplomatie sanitaire mondiale.

« Les questions de santé sont étroitement liées à celles des droits et de l’humanité »

Vous êtes un fervent défenseur d’une “africanisation” de la R&D en matière de santé. Quelle est la réalité du terrain concernant les besoins en santé du continent africain ?

L’Afrique représente 25 % de la charge mondiale des maladies et absorbe un quart de la consommation mondiale de vaccins. Cependant, seulement 1 % de ces vaccins sont fabriqués sur le continent. Moins de 10 % des médicaments utilisés sont fabriqués localement, tandis que 40 % des médicaments falsifiés circulent sur le continent. Il y a là un problème flagrant d’équité. Entre 53 et 60 médicaments pourraient traiter 90 à 93 % des maladies courantes en Afrique. Nous n’en produisons aucun ! Sur le marché mondial du médicament, qui s’élève à 1 413 milliards de dollars, l’Afrique ne pèse que pour 1,2 milliard ! C’est pourtant sur ce continent que les besoins sont les plus importants en raison des évolutions des modes de vie et des demandes sociales en constante évolution. L’Afrique fait face à une double épidémie : au-delà des maladies transmissibles, le continent souffre désormais de maladies chroniques, notamment le diabète, qui devient un véritable défi ! Parallèlement, c’est aussi en Afrique que les dépenses de santé à la charge de la population sont les plus élevées.

Quels sont les premiers accomplissements de l’AMA pour la mise en commun des ressources et expertises du continent ?

J’ai pris le leadership de l’Agence africaine du médicament (AMA) pour accélérer sa mise en place. En cinq mois, nous avons rencontré 23 chefs d’Etat. Le traité portant création de l’Agence – adopté en février 2019 – a été ratifié très rapidement, avec l’appui de l’OMS. Nous progressons dans le bon sens : le Rwanda va héberger le siège de l’Agence, et le conseil d’administration est mis en place. Le système de régulation des produits de santé sur le continent est actuellement très faible, voire inexistant. L’absence d’un système d’inspection et la porosité des frontières facilitent la circulation des médicaments contrefaits. Il est impératif d’harmoniser les politiques locales.

A ce jour, 41 de nos 55 pays n’ont pas atteint le niveau de maturité requis dans la classification de l’OMS pour la production et la vente de médicaments. Il faut une “africanisation” de la R&D, aujourd’hui prise en otage par le Nord. Alors que le paludisme a été découvert en Algérie il y a 144 ans et que le continent compte 90 % des cas annuels, un premier vaccin antipaludique n’a été préqualifié par l’OMS qu’en juillet 2022 ! Aussi, l’Afrique a dû patienter sept ans pour avoir accès aux traitements contre le sida. Les médicaments sont au Nord, quand les patients sont au Sud. Nous ne voulons pas nous limiter à produire ce que les autres ont produit il y a vingt ans. Nous voulons pousser le transfert de technologies, la recherche sur la génomique humaine et le transfert de compétences pour mettre la qualité au coeur de nos préoccupations. Pour cela, il faut mettre en place un système de régulation, des hubs d’excellence, une politique de pharmacovigilance… en partenariat avec l’Agence européenne des médicaments (EMA), qui possède l’expertise et l’expérience nécessaires, et une coordination au niveau des Etats.

L’harmonisation des règlementations en matière d’enregistrement de médicaments aidera nos pays à se conformer aux meilleures pratiques et normes, favorisant ainsi non seulement la mise en place d’une production locale de médicaments et de vaccins sûrs et efficaces, mais également l’accès aux financements, à des technologies et à certains transferts de licences volontaires. Sur le continent, nous comptons 500 sites de production, mais seulement cinq d’entre eux répondent aux standards internationaux. Avec la création de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), nous ne voulons plus limiter le marché à ses 1,3 milliard d’habitants. Avec une régulation forte, nous pourrons produire plus vite, à coûts plus bas et aux normes de qualité internationales. En témoigne la récente inauguration de l’usine de BioNTech à Kigali, qui va rapidement fabriquer les vaccins à ARNm contre le paludisme et la tuberculose, et peut-être même des vaccins contre les cancers.

Il reste à mettre en place le financement du fonctionnement de l’AMA. Les contributions des Etats membres constitueront évidemment une source primordiale. En outre, les redevances versées par les entreprises joueront un rôle décisif. Cela est essentiel pour établir une base financière solide, assurant à l’AMA une autonomie, une indépendance, une crédibilité et, par conséquent, une souveraineté. L’EMA a reçu une subvention de dix millions d’euros de la Commission européenne pour soutenir les systèmes règlementaires au niveau national et régional en Afrique, et en particulier pour la mise en place de l’AMA.

Comment l’OMS peut-elle accélérer la solidarité mondiale et l’accès universel à la prévention, aux traitements et aux soins ?

L’Organisation mondiale de la santé, en tant qu’unique instance internationale de régulation sanitaire, dispose d’une plateforme cruciale pour les initiatives et la coordination à l’échelle mondiale, ce qui accentue le besoin de consolider sa position. Pour son financement, l’OMS repose essentiellement sur les contributions statutaires des Etats membres, couvrant moins de 20 % de son budget, et sur les contributions volontaires de ces pays et d’autres partenaires.

Cette répartition souligne l’urgence d’accroître l’autonomie financière de l’OMS. L’organisation est au coeur des efforts d’amélioration de la réactivité et de l’efficacité face aux urgences sanitaires, en privilégiant le renforcement de la coopération internationale et la publication de lignes directrices claires. Consolider son indépendance pour limiter l’influence politique externe et se focaliser sur les impératifs de santé publique est indispensable. Une diversification des sources de financement et une allocation optimisée des ressources sont essentielles pour une réponse adaptée et efficiente aux enjeux de santé globaux. L’OMS travaille de façon étroite avec le Centre africain de contrôle et de prévention des maladies (CDC). L’AMA renforcera le CDC qui aura la charge de la prévention, la stratégie de communication et la formation de nos instituts nationaux pour suivre les évolutions des pandémies futures. Et il n’y aura pas de sécurité sanitaire internationale sans gestion du risque communautaire. Je crois à une régionalisation des approches.

Comment les conflits géopolitiques freinent-ils l’atteinte des objectifs de santé publique ?

J’ai été ministre de la Santé du Mali de 2019 à 2020. Le plus gros problème est la déstructuration du tissu communautaire : les plus démunis sont exclus, les infrastructures sanitaires sont abandonnées, la gestion des ressources est difficile, le déplacement des populations aussi. Les conflits ont des conséquences dévastatrices et mettent en péril la préservation de la santé des populations au profit de l’impératif sécuritaire. Où est l’humain dans tout cela ? Si la plupart des hommes politiques que j’ai rencontrés ont une vision extraordinaire de ce que peut être le monde, ils agissent pourtant à court terme, dans l’urgence, avec le poids du vote !

Vous avez oeuvré durant des années contre le VIH, pour lequel la gestion du risque communautaire a été au coeur des actions. Quels sont les moyens encore à déployer pour mettre fin à l’épidémie ?

La lutte contre le sida a été l’un des mouvements les plus importants des cinquante dernières années en termes de santé publique, incluant les communautés et les sociétés civiles. Je n’ai jamais vu une mobilisation sociale équivalente depuis. Cela a été une période extraordinaire de ma vie. Les hôpitaux étaient remplis, les patients étaient sur leur lit de mort, nous n’avions ni médicament, ni vaccin. Nous craignions même de faire dépister les gens, parce que cela revenait à leur donner une sentence de mort. Nous avons pourtant accompli des exploits en plaçant les patients comme “acteurs” de leur santé. Nous avons réussi à réduire de manière significative le coût annuel des médicaments antirétroviraux, passant d’environ 15 000 $ par personne et par an à seulement 40 $. Le schéma d’administration est passé de 18 comprimés par jour à seulement un. Cette transformation est le fruit de nos efforts soutenus en R&D.

Désormais, le VIH/sida est devenu une maladie chronique. Nous avons connu une situation unique avec le sida, seule maladie à faire l’objet, par deux fois, de débats au Conseil de sécurité des Nations unies. J’ai réussi à négocier comme objectif de l’Assemblée générale des Nations unies de mettre fin à l’épidémie en 2030. J’ai lancé le programme 90/90/901 à l’horizon 2020, qui a été repris 95/95/95, et je m’en réjouis. Aujourd’hui, il y a plus de personnes sous traitement que de nouvelles infections. Mais si nous avons gagné des combats, nous n’avons pas gagné la guerre. Il faut aller vers la pérennisation des acquis, continuer à mobiliser des ressources nationales, réduire la dépendance aux pays développés, avec une notion de partage de responsabilités et de solidarité globale.

Des progrès immenses ont été accomplis avec la création du Fonds mondial et la formation des populations pour l’auto-administration de leur traitement. Ces avancées ont permis d’aller au-delà de la gestion de la maladie ; elles représentent la reconnaissance d’un droit humain et d’une justice sociale, notamment pour des groupes vulnérables. La stigmatisation et les discriminations persistent pourtant. Il nous faut un leadership politique qui permette d’en faire une question transversale, de refuser l’exclusion et de se remobiliser pour un objectif plus grand : celui du vaccin. Je suis persuadé que nous aurions pu aller beaucoup plus vite dans la lutte contre le Covid-19 si nous avions travaillé de la même façon.

« Il faut rendre l’architecture de la santé mondiale plus simple »

Comment peut-on se préparer au mieux contre les prochaines menaces infectieuses ?

La pandémie a montré qu’il fallait construire une nouvelle forme de solidarité, dans un monde interconnecté. La peste, de la Chine à l’Europe, a pris une trentaine d’années à se répandre. Le virus du Covid-19 a atteint 100 pays en moins d’un mois ! L’Afrique, continent jeune, a bénéficié d’un moindre impact de cette épidémie. Mais, avec l’urbanisation et les changements climatiques, les zoonoses se multiplient et d’autres pandémies émergeront. Il est urgent de conforter les systèmes de surveillance autour du concept “One Health”. Une autre diplomatie de la santé doit exister, avec la justice sociale en son centre. C’est un problème éthique et moral, au-delà du cadre strict du médicament. Cela pose aussi la question de la force du multilatéralisme aujourd’hui. Dans une quête de maximisation des profits, l’industrie de la santé a délocalisé ses systèmes de production en Inde. Cependant, lorsque le pays a été touché par les retombées du Covid-19, il n’a plus été en mesure de fournir le vaccin AstraZeneca au mécanisme Covax. Il faut diversifier les sources et les pôles de production pour garantir un approvisionnement plus résilient.

Etes-vous optimiste pour l’Afrique de demain ?

L’Afrique a majoritairement une population jeune, qui a conscience de ses atouts et réclame des changements au bénéfice de la majorité. C’est en Afrique que se situent la main-d’oeuvre active et les consommations futures, et les investissements y sont maximisés. Une demande sociale des jeunes Africains s’exprime en faveur d’une recherche de souveraineté, de protection sociale pour les plus démunis. Une logique de partenariats inédite, notamment avec les industriels du Nord, se met en place pour répondre ensemble aux intérêts de tous. Il y a une exigence très forte pour une plus grande transparence, une reddition de comptes et des résultats concrets. C’est un tournant ! Je ne vois pas de déconnexion entre les jeunes Européens et Africains. Plutôt un déficit de compréhension entre les jeunes et les dirigeants du monde entier. C’est selon moi générationnel ! Avec l’innovation, l’IA, et les capacités de formation et de transfert de compétences, l’Afrique aura les forces nécessaires.

(1) 90 % des personnes vivant avec le VIH connaissent leur statut sérologique, 90 % des dépistées reçoivent un traitement antirétroviral durable et 90 % d’entre elles ont une charge virale indétectable.

Source de l’interview : Magazine mensuel PHARMACEUTIQUES n°315 https://pharmaceutiques.com/



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